EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Formations en gestion des risques de conflits identitaires

Formations en gestion des risques de conflits identitaires

En 2009, 2010 et 2011 : suite à une analyse fine des risques d’épuration ethnique liés aux conflits identitaires au Nord Est de la RDC, avec notre partenaire Justice Plus www.justice-plus.org à BUNIA, Verbatims a déployé un large programme de formations en gestion des risques de conflits identitaires dans les deux Kivus et en Ituri.

Avec l’appui financier du Service Public Fédéral Affaires étrangères de Belgique et de la MONUSCO.

Réalisations

Dans et autour de cinq villes de l’Est de la RDC : Bunia, Butembo, Goma, Bukavu et Uvira, au total 6.300 leaders sont formés et mobilisés :

  • Dont 300 leaders d’opinion: responsables politiques et d’administrations, forces de l’ordre, magistrats, leaders communautaires, chefs traditionnels, chefs religieux, enseignants, intellectuels, étudiants, journalistes, responsables d’organisations de la société civile (OSC) ont reçu une formation intensive à la prévention des risques de conflits à base identitaire (4 jours).

  • Dont 6.000 leaders locaux mobilisés pendant 2 jours lors de propagations formelles animées par les leaders d’opinion formés, notre partenaire Justice Plus et les formateurs de Verbatims.

  • Et plusieurs dizaines de milliers de personnes touchées par les très nombreuses propagations informelles qui développent, vulgarisent ou illustrent nos messages : émissions radios initiées par nos leaders, saynète de théâtre dans les villages ou diffusion des contenus des modules par les militaires formés, dans leurs casernes.

Impact

« Qu’avez-vous appris lors de cette formation ? »

Quelques propos des leaders d’opinions après la formation en Ituri et aux Kivus:

Leaders Ituri Kivus

« Jusqu’ici, toutes les institutions qui organisaient des séminaires sur les conflits chez nous, en Ituri, ne parlaient que de la façon de gérer les conséquences des conflits. L’innovation de Verbatims est d’aborder les situations par les causes profondes des conflits, alors on peut penser à une vraie prévention. C’est parce que c’est très nouveau que la propagation a connu une vraie curiosité et un grand intérêt auprès de milliers de personnes, dont des responsables politico-administratifs, des militaires, des religieux, etc. Avant, ce sujet était considéré comme tabou or il est le vrai moyen de changer les choses en profondeur. »

“Ce qui m’a marqué, c’est l’enchaînement des thèmes entre eux : cette harmonie m’a fait bien comprendre comment un conflit localisé, d’un individu devient un conflit généralisé et comment on manipule” « J’ai eu des formations dans le passé, mais ici c’est plus affirmé. Les stéréotypes : on comprend que cela peut mettre le feu », « Le module sur la nationalité, je ne savais pas que c’est l’État qui donne la nationalité, je croyais que c’était aux gens de décider de la nationalité de quelqu’un ».

« On a changé. Quand je suis arrivé ici le premier jour, j’étais méfiant par rapport à un groupe ethnique en particulier. J’avais été blessé par balle par un groupe : je ne supportais plus les gens de ce groupe dont des représentants étaient présents dans cette formation : je regarde le groupe autrement aujourd’hui. J’ai été vraiment transformé dans le fond ».

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« J’ai compris qu’avec ma langue, j’avais enfermé beaucoup de gens ».

« Les modules se complètent bien et ainsi j’ai compris ce qu’est un État de Droit. Je regrette que Verbatims n’était pas encore là en 1994, sinon on n’aurait pas vécu tout ce qu’on a vécu ».

Photo3 Témoin RDC

« Mon identité c’est autre chose et plus que ce que je croyais » « Et aussi que réduire l’identité d’une personne est dangereux et que c’est une stratégie de manipulation en cas de conflit ».

« C’est d’apprendre à différencier origine et nationalité », « À ne pas réduire une personne à sa seule appartenance ethnique ».

« J’ai tout à fait changé de manière de voir l’ethnie ».

Photo4 Témoin RDC

« C’est la méthodologie qui m’a frappé : le formateur a mis de l’ordre dans nos idées en les respectant et c’est une méthode qui est très bien adaptée à nos milieux ».

« Apprendre à analyser les discours politiques ».

« Comment éviter / combattre les discours des manipulateurs qui conduisent à des conflits identitaires ».

« D’avoir compris comment un conflit se généralise ».

« J’ai compris, ce qu’est un conflit identitaire, comment il naît, se développe, comment le gérer, le contenir » .

« Que faire à partir des acquis de ces formations ? »
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« Nous avons, au ministère de la Justice, des formations destinées aux leaders d’opinion. Je vais introduire cette approche dans ces formations, mettre en garde sur la manipulation. D’autant que Goma est un laboratoire où s’élaborent les conflits ethniques ».

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« Je suis dans une organisation de promotion et appui aux initiatives féminines. On travaille avec des femmes dans la ville de Goma. Lors des réunions avec les autres organisations, avec les femmes déplacées à cause de la guerre, je vais leur montrer les dangers de l’identification ethnique et comment dépasser les conflits identitaires ».

« Nous avons une association de défense des droits humains. Nous allons créer une cellule spécifique pour les victimes de conflits identitaires. Nous allons aussi ajouter cela à la formation de nos écoutants et éditer un dépliant ».

 « Je suis journaliste radio, dorénavant, je ne dirai plus par exemple : une Hema a été violée par un Lendu ».

« Au ministère de la Justice, je ne veux pas seulement former, je veux aussi m’adresser à tout le personnel de justice : greffiers, juges, officiers de l’état civil pour les conscientiser à éviter les réflexes identitaires », « Nous pourrions créer un bureau permanent et interethnique ».

« Je suis journaliste radio, je dois changer de comportement moi-même. Je compte produire des émissions de radio et organiser une session de restitution pour les confrères journalistes »

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« Je vais communiquer ces dangers à la conférence des pasteurs des églises du réveil dont je fais partie »

« Membre d’une association de promotion et de développement du peuple pygmée, je vais intégrer cette approche à notre action de résolution des conflits entre pygmées et autres ethnies, je vais introduire votre approche dans la nôtre »

« Comité de développement de Bwabo. Nous allons enseigner d’abord les chefs communautaires, puis les chefs de village et les pasteurs. Un conflit entre deux mamans Hundé et Hutu à propos de poisson salé a dégénéré et créé une situation grave, les chefs de village ayant pris parti sur base ethnique »

« Dans notre Clinique juridique, je vais former les personnes de notre centre d’écoute et insérer la problématique dans nos émissions quotidiennes de radio »

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« Comme membre de la société civile de Walikale, je vais procéder à une restitution à la coordination de la société civile et intégrer cette approche aux actions menées par les membres des comités locaux dans ce vaste territoire » « Je vais informer les comités de quartier. Former les éducateurs. Produire des flashs radio de prévention et des supports de formation ».

Élections, questions identitaires et enjeux de l’offre politique en RDC

Élections, questions identitaires et enjeux de l’offre politique en RDC

En 2011 et 2012, Verbatims et son partenaire en RDC – Justice Plus www.justice-plus.org ont développé des formations à la gestion des risques de manipulation de l’ethnicité lors de la campagne électorale de 2011 en RDC.

Avec l’appui financier du Service Public Fédéral Affaires étrangères de Belgique.

Objectifs

  • Tenter de réduire les risques de conflits identitaires avant, pendant et après les élections de 2011 en RDC.

  • Diffuser une culture démocratique (au-delà de la réalisation d’élections), c’est-à-dire une société dynamisée par un débat sur des options de développement économiques, sociaux, éducatifs, sanitaires et culturels.

  • Favoriser la « détribalisation » de la société, donc réduire la dimension de l’appartenance ethnique comme critère déterminant de la mobilisation en période électorale.

Réalisations

Ce programme de formations approfondies et de sensibilisations aux risques de manipulations de l’ethnicité en période électorale s’est déployé à travers tout le pays dans douze villes principales

  • Ce programme a touché 800 leaders d’opinion, destinataires directs à travers tout le pays (40 sessions de 2 jours) et au moins 40.000 personnes sensibilisées par les propagations informelles et /ou les auditeurs de radio qui reprennent les contenus de la formation.

  • 40 bloggeurs répartis sur l’ensemble du territoire ont relevé les preuves de discours identitaires incendiaires et les bonnes pratiques visant à réduire l’impact de ces discours.

  • Un spot radio fut largement diffusé :

  • Des milliers de t-shirts véhiculant le message « Stop aux manipulations tribales, apprenons à vivre ensemble » ont été distribués.

  • Très grande couverture media à travers tout le pays suite à une conférence de presse tenue dans chaque ville à l’issue de la formation et à une conférence de presse tenue à Kinshasa.

 

Impact

Des questionnaires d’évaluation de l’impact des formations ont été remplis par tous les participants. Ces données furent traitées et contribuent à l’évaluation.

De plus, les nombreux débriefings ont permis de dégager sept constats transversaux, quelle que soit la ville.

La plupart sont des confirmations de nos projets précédents en RDC : « Formations de managers en gestion de risques de conflits identitaires » données en Ituri et dans les deux Kivus en 2009, 2010 et 2011.

Un bref document de synthèse résume l’analyse de l’impact de ces projets en RDC

Comment la Coopération belge peut-elle intégrer la question de la gestion de l’identitaire dans les projets de développement durable et dans les interventions humanitaires d’urgence ?

Comment la Coopération belge peut-elle intégrer la question de la gestion de l’identitaire dans les projets de développement durable et dans les interventions humanitaires d’urgence ?

En 2014, mission de recherche commanditée par le Ministre belge des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement.

Enquêtes de terrain en Ituri et dans les deux Kivu.

Contexte et Hypothèses

  • Le point de départ de notre réflexion est un paradoxe souvent observé dans des régions à fortes turbulences comme la zone des Grands Lacs, le Sahel – Mali, Niger , etc :
    • des efforts en matière d’investissements en Coopération y sont souvent considérables dans divers projets de développement durable : agriculture, sécurité alimentaire, santé, éducation, adduction d’eau, infrastructures, etc. Egalement dans l’aide humanitaire d’urgence ou dans les programmes de réhabilitation de la police et de la Justice.
    • mais ceux-ci sont parfois réduits à néant par des méfiances, des haines, voire des violences dites « intercommunautaires ».

  • La conséquence est non seulement que les sommes investies le sont avec une efficience très faible mais que le développement y est bloqué et que la pauvreté et le manque de projection dans le futur persistent.

  • Ce paradoxe signifie bien qu’il y a, outre les facteurs macro-sociétaux dont la solution ne relève pas directement des acteurs de la Coopération, il y a un aspect de la réalité qui freine la voie vers le développement de ces régions et qui n’est pas ou mal intégré dans les projets de Coopération durable ou l’aide humanitaire d’urgence.
    Une de nos hypothèses est que cette variable « oubliée » ou insuffisamment assimilée est celle de la formation à la gestion de l’ethnicité et aux questions identitaires en les abordant en profondeur, au-delà de ce qui est souvent perçu comme une question « taboue ».

  • Il s’agit en effet de sociétés au sein desquelles tous les rapports sociaux sont fortement ethnicisés.
    Selon nos hypothèses, cette ethnicisation signifie que la façon dont les individus se perçoivent les uns les autres s’effectue d’abord à travers le prisme de l’appartenance ethnique.
    Il en découle un imaginaire structurant qui fige toute relation dans une opposition entre « eux et nous ».

  • Les exemples dans la vie quotidienne foisonnent (entendus dans l’Est de la RDC) :
    • Tel instituteur est rejeté car perçu comme « non originaire ».
    • « Des jeunes Hema ont été tués par des Lendu car ils ne sont pas d’ici », (le récit est fait en ces termes, on cite les victimes et les tueurs par leur appartenance ethnique).
    • Les motos taxis de Bunia ont constitué des parkings par ethnie.
    • Une communauté refuse qu’une source située sur son territoire alimente en eau une autre communauté.
    • « Les tutsi doivent rentrer chez eux au Rwanda, ce ne sont pas des congolais ».
    • « Je suis médecin chef dans une zone de santé ; Etant Hema, je n’ose pas aller soigner dans les villages Lendu »
    • Champs coopératifs abandonnés par rejet des autorités traditionnelles « autochtones ».

  • Achille Mbembé parle des « multiples frontières internes » pour caractériser les sociétés africaines actuelles.
    Le sociologue Amin Maalouf dit « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances ». Donc des perceptions réciproques.

  • La dimension identitaire constitue bien une composante majeure de ces sociétés.
    Le problème est que cette dimension « colore » spontanément tous les problèmes / conflits inévitables de la vie quotidienne (fonciers, transhumances, accès à l’eau, déplacements / retours de réfugiés, différends commerciaux, etc.).

  • Cette dimension est étroitement inter-reliée aux autres facteurs du contexte. En effet, parmi les populations, domine le sentiment que rien ne les protège, ni leur Etat défaillant, ni la Communauté internationale. Le repli sur l’ethnie comme seul cocon protecteur est dès lors le réflexe défensif.
    Créant ainsi un terreau très fertile pour les divers groupes politiques, qui, dans leur quête du pouvoir ou leur stratégie pour s’y maintenir, jouent sur la fibre identitaire en l’exacerbant. Leurs discours incendiaires développent un climat où l’identitaire et la méfiance, voire la haine entre communautés est entretenue et accentuée.

  • Nous ne posons pas comme hypothèse que « tout est ethnique dans les sociétés africaines », mais que la plupart des différends inhérents à la vie collective prennent spontanément une dimension ethnique / identitaire car il y a cette perception des uns et des autres par le prisme de la mono-appartenance : « on ne voit pas un être humain, on voit un Shi ou un Banyamulenge ».
    Par exemple, il y a des conflits de terre qui sont de vrais différends fonciers mais qui deviennent très rapidement des conflits identitaires parce que le différend est perçu comme une agression d’un représentant d’une communauté qui se ressent comme victime de l’autre. Le différend est alors rapidement communautarisé et il mobilise les membres d’une ethnie contre l’autre ethnie en oubliant même jusqu’à l’objet initial du différend.

  • Et lorsque des responsables politiques profitent de ce « réflexe culturel » en instrumentalisant eux-mêmes l’identitaire et en soufflant sur les braises de la haine, le cercle vicieux des « identités meurtrières » est achevé et domine tout.

C’est en ce sens que notre hypothèse est celle de sociétés fortement ethnicisées.

Objectifs et méthode de recherche

  • Le premier objectif de cette recherche est d’investiguer la façon dont les diverses ONGs et les grandes organisations internationales / agences onusiennes implémentent et gèrent la question de l’ethnicité dans leurs projets / programmes / process au sein de ces sociétés.
    Bien que nous ayons choisi l’Est de la RDC : Ituri (Bunia), Kivu Nord (Beni, Rutshuru, Goma) Kivu Sud (Bukavu et Uvira) comme lieux d’investigation, il s’agit bien de rechercher les invariants dans ces façons de faire au sein de sociétés fragmentées et traversées par des conflits violents, qu’il s’agisse d’une société composée de deux ethnies ou d’une multitude de communautés.

A partir de plus d’une centaine d’entretiens approfondis, nous avons construit une typologie qualitative de la façon dont les ONGs et les grandes organisations internationales / agences onusiennes entretiennent un rapport avec l’ethnicité des sociétés où elles interviennent.

Ces entretiens ont été réalisés entre le 16 juillet et le 10 août 2013 par deux binômes de sociologues (3 belges et 1 congolais) ayant une longue expérience de travail de sensibilisation en Afrique et spécialement en RDC. Chaque entretien dure au moins 1 heure. Certains furent réalisés en swahili ou en anglais, la plupart en français. La liste des organisations interviewées se trouve en annexe du rapport complet.

Méthodologiquement, il ne s’agissait pas d’un échantillon représentatif mais à l’instar de toute investigation “qualitative”, de rencontrer les cas les plus divers possibles (autant de toute petites ONGs locales que des grandes ONG internationales que des agences onusiennes, également autant les responsables de ces ONGs que leurs bénéficiaires). Les entretiens étaient menés au moyen d’un guide d’entretien.

Ce guide a évolué selon les débriefings quotidiens entre les chercheurs. Le nombre d’entretiens a été déterminé par le constat de la “saturation” de l’information, c’est-à-dire qu’à partir d’un certain moment, les entretiens ne faisaient que confirmer les constats déjà réalisés.

 

Réalisation

Rapport complet : Développement et ethnicité.

Comment la Coopération belge peut-elle intégrer la question de la gestion de l’identitaire dans les projets de développement durable et dans les interventions humanitaires d’urgence ?